Si j’ai déroulé les pages du nouvel outil qui nous sert à prolonger l’Accident (cf. Thierry Laus) et en appelant à ce qu’on en fasse (chacun) le récit, c’était en imaginant qu’on poursuivrait ainsi, pour un moment encore, le ravissement de cette rencontre accidentelle que nous souhaitions rejouer et amplifier. Les propos de Thierry, parlant de communauté et d’œuvre commune, nous appellent à un plus grand dessein.
En appelant au récit, comme simple sociologue hackant à ses heures, j’imaginais les différentes narrations de ce que nous faisions "sur" Internet, ou pas loin de notre ordinateur, le week end du 25-26 octobre 2008. Car je dois l’avouer, j’ai toujours été intéressé par les communautés virtuelles. Peut-être, pour avoir participé à certaines d’entre elles mais, surtout, parce que j’en ai vu mourir et même renaître avec une émotion palpable, transperçant les écrans interposés entre divers participants.
Pour revenir à notre Accident, j’attendais probablement un début d’explication de ce qui nous prédisposait à accueillir favorablement les aléas du dérèglement de la lettre de fabula.org. Etions-nous désœuvrés, regardant couler le temps sur Internet ? Ou, bien au contraire, étions-nous en train de tourner et retourner autour des petites ou grandes œuvres de notre existence intellectuelle ? Maîtrisant les outils et les codes de cette "Société" de distance et de flux qui caractérise Internet, étions-nous égarés bien qu’en quête de la chaleur rassurante ou protectrice d’une "Communauté", refoulée ou perdue de vue dans nos vies réelles ?
Je pense que mes questions me révèlent, plus qu’elles ne décrivent le point de vue de notre communauté virtuelle. Cependant, ces questions nous lient et nous invitent à penser ce que nous allons faire ensemble dans ce nouvel espace des flux, où il est si facile de se perdre, tant la multitude des discours et des images y fait doucement passer le temps.
Nous avons choisi de faire quelque chose (on n’ose dire faire "œuvre"), tout simplement en nous parlant publiquement les uns aux autres. C’est cette envie qui nous distingue d’autres entreprises savantes ou narcissiques, c’est ce projet qui nous rassemble sans nous enfermer.
Il me semble que nous pouvons rêver d'une communauté à l’œuvre.
(Christophe Camus)
2 commentaires:
Cher Christophe,
Oui, poursuivre le ravissement de la rencontre accidentelle était déjà un dessein. Donner une vie plus longue « aux mots de la tribu », aurait dit L’Autre (pour ne pas écrire L’Unique). Ce dessein, je pense, reste pertinent, tant le flux de la vie réelle qui, tout de même, espérons le, existe encore pour la plupart d’entre nous, nous emporte. Mais, en effet, s’interroger sur le pourquoi et le comment de la rencontre, cette prédisposition à la formation d’un « groupe », structure bégayante tout d’abord, aux contours irréguliers et changeants comme ces micro-organismes sous l’œil du microscope, puis plus ferme et bientôt cernée par son nombre constant, s’interroger donc ne pouvait pas ne pas surgir dans nos esprits de chercheurs impénitents ! Tel pourrait arguer, mathématicien ou sociologue bourdieusien, que les probabilités statistiques ne pouvaient manquer de produire, sur un corps social d’abonnés à la lettre de Fabula de plusieurs milliers de personnes, un échantillon réceptif inévitable d’au moins quelques dizaines de personnes, ce qui est finalement peu, mais qualifiable de « résiduel incompressible » (comme le chômage de 5%). Ainsi, nous serions l’incompressible, image qui ne me déplait pas, dans le sens d’irréductible (en masse comme en énergie), voire de « résistant », mot qui est revenu assez souvent dans nos premiers messages. Ceci dit, je ne crois pas que les études sérielles suffisent à expliquer l’humain, fort heureusement, et ces analyses quantitatives et « probables » me laissent assez froid : j’y vois un déterminisme arithmétique qui indispose ma fierté naïve d’homme libre. Le désœuvrement, autre hypothèse dont tu as posé toi-même la question, ne me convainc pas davantage : certes le dimanche pluvieux, l’automne approchant, le changement d’heure perturbant nos repères nocturne et alimentaire, pourraient être retenus. Mais certains d’entre nous vivent par delà les frontières, et même fort loin sous d’autres soleils (même en Guadeloupe, chanceux !), infirmant la démonstration ! Et puis suffit-il d’être désœuvré (expression piquante pour des écrivains, des chercheurs ou des « créateurs » de quoi que ce soit. !) pour réagir comme nous l’avons fait à un événement qui aurait pu rester un banal incident informatique, perdu parmi les spams, Viagra, Rolex, sacs Vuittons, voiture gagnée et demande de Madame Mama Boudouré de Bamako de virer sur notre compte bancaire quelque 50 millions de dollars, pour lui rendre service…
Lorsque tu parles de « la chaleur rassurante ou protectrice d’une « Communauté », refoulée ou perdue dans nos vies réelles », je crois que l’on se rapproche de la vérité. Non que nous n’appartenions pas tous, plus ou moins, à des communautés, familiales, amicales, professionnelles, savantes, construites au gré de la vie, stratifiées et évolutives. Et loin de moi l’idée d’en nier l’existence, la force, le plaisir, la pérennité etc.. Mais n’y manque-t-il pas l’excitation et la surprise. N’y a-t-il pas dans le contact spontané et aléatoire, quand bien même nous y serions prédisposés par toutes les probabilités possibles, ce petit pincement que nous ressentons lorsque l’on sonne à notre porte et qu’un inconnu s’y présente ou quand au détour d’une route, en pleine nuit pluvieuse et en rase campagne, nous apercevons dans le rayon des phares la silhouette d’un auto stoppeur improbable. Or, ce n’est pas seulement le plaisir un peu « canaille » de parler avec quelqu’un qui ne nous a pas été présenté (encore que) auquel je fais allusion, mais plus encore cette survenue d’une rencontre à la fois complice et improbable certes mais avec des êtres dont nous sommes proches intellectuellement, avec lesquels nous partageons, sans les connaître, des regards, des points de vue, des tournures d’esprit, des formes d’interrogation, la pratique d’une écriture ou d’une activité artistique et, surtout, la conscience de cette appartenance à un même univers, fût-il hétéroclite. Que s’y soient ajoutés, le sens de l’humour, et de la répartie, le goût malicieux de l’énigme, l’exploration lexicologique et un certain rejet de la mesquinerie et de l’agressivité (ha ! ce message reçu en corps 28…) est évident. Aurions-nous formé cette escouade mutine et complice si nous n’avions pas assisté à ce déchainement grotesque de messages hostiles, inutilement vindicatifs, voire, disons le, stupides dans l’incompréhension totale de ce qui se passait sur le plan technique ? Nous nous définissons bien évidemment aussi par rapport aux autres…
Reste que nous avons décidé ensemble de poursuivre le dialogue. Sans doute est-ce parce que nous avons jugé l’aventure précieuse, touchante, voire émouvante, dans son humanité et comment ne pas tenter de pérenniser l’instant frémissant où, derrière l’apparente froideur du système, le texte (dont l’amour nous réunit aussi) a su laisser sourdre l’affect autant que l’intellect. Qu’en adviendra-t-il ? Il est trop tôt pour le dire, le flux collectif s’est assagi, seuls huit membres, pour le moment, nous ont rejoint, dont certains restent silencieux, mais le fil est bien là et cette toile, tissée grâce à la déchirure de l’autre, attend que nous la fassions vivre…
(Jean-David Jumeau-Lafond)
Mais non, Jean David, je ne t'ai pas oublié dans ma liste - comme avait été oubliée Carabosse au baptême de la Princesse Aurore -pour qu'entre le destin par la suite. Mon message était justement si plein de tes propres mots (ceux-ci) que tu ne me manquais absolument pas. Inutile de convoquer celui qui est présent.
Voilà pourquoi.
Anne-Marie
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