Certains, parmi nos compatriotes contemporains, sont dits « toqués », parce qu’ils excellent en cuisine, sinon littéraire, du moins gastronomique. Certes, « toqué », vient de l’onomatopée « tokk », qui figure un choc, et évoque donc les conséquences supposées d’un coup sur la tête. D’autres, dans le même registre alimentaire, seraient plutôt étoilés, selon qu’ils reçoivent plus les honneurs du guide Michelin que ceux du Gault & Millaud. Chacun sait, d’ailleurs, que lorsqu’on est frappé, on voit des étoiles. Les chefs se retrouvent donc très logiquement au pays des toques et des astres puisque la cuisine de haut vol (et de vol-au-vent) fait rêver n’est ce pas ?
Mais des « toqués » plus anciens, et bien avant que l’on n’invente le TOC (trouble obsessionnel compulsif), brillent plus par les illuminations que par le feu des fourneaux et entendent davantage « des voix » que la musique du « piano » (autre nom pour la cuisinière à gaz) . Etre toqué signifie alors être « un peu fou », « cinglé », « qui a le cerveau fêlé ». Tous les toqués ne sont pourtant pas si toqués que cela : que dire de Louis Tocqué (1696-1772), auteur d’un Discours sur le genre du portrait, lu à l’Académie de peinture et de sculpture le 7 mars 1750 (et publié avec la réponse de Charles-Antoine Coypel et un avant-propos du comte Doria en 1930) ? Que penser d’Alfred Toqué, auteur de l’Aperçu général sur les dispositifs techniques propres à prévenir les accidents du travail, édité à l’occasion d’un congrès fort savant et très social tenu lors de l’Exposition universelle de 1889 ? On restera en revanche sans doute plus dubitatif sur les agissements restés tristement mémorables de Georges Toqué, cet administrateur colonial qui eut l’idée saugrenue de laisser attacher un bâton de dynamite au coup d’un indigène (affaire Gaud-Toqué, 1905), et sans doute, notre (jeune) contemporaine Céline Toqué-Pichon (née en 1979), pourrait-elle en parler, elle qui, en 2006, publia aux éditions du Panthéon un mémoire sur L’abolition de la peine de mort en France et la « Loi Badinter ».
Mais laissons là l’érudition gratuite. La cause est entendue, si vous n’alignez ni récompenses gustatives, ni réflexions artistiques, ni faits coloniaux, il ne vous reste assurément que le toquage intégral. Certes, on peut être « retoqué », c’est à dire non pas toqué deux fois, mais refusé à un examen. Certes, on peut aussi être « toqué » de quelqu’un ; l’expression rejoint alors le langage amoureux et dissipe quelque peu l’atmosphère aliéniste au profit de la camisole affective. Encore que, parfois, la frontière entre l’une et l’autre soit fragile. Lorsque Gobineau écrit ses fameuses lettres à sa chère Diane, il qualifie son enfant de « chère petite princesse Toquée ». S’agit-il de folie ou d’amour et si c’est le second cas, qui est toqué de qui ?
La folie, qui, on le sait, est une « autre intelligence », apparaît ainsi bien souvent comme gage d’originalité, voire de talent. Les frères Goncourt ne disent rien d’autre lorsqu’ils évoquent leur visite au comte Robert de Montesquiou : « Montesquiou, disons-le bien haut, n'est point du tout, le des Esseintes de Huysmans, s'il y a chez lui un coin de toquage, le monsieur n'est jamais caricatural, et s'en sauve toujours par la distinction. Quant à sa conversation, sauf un peu de maniérisme dans l'expression, elle est pleine d'observations aiguës, de remarques délicates, d'aperçus originaux, de trouvailles de jolies phrases, et que souvent il termine, il achève par des sourires de l'oeil, par des gestes nerveux du bout des doigts » (7 juillet 1896).
Avec ou sans «sourire de l’œil et gestes nerveux », mais du bout des doigts, certes, je vous assure, cher cousin, que vous avez dit « toqué » et, compte tenu des antécédents évoqués, et laissant là la toque de l’avocat, je prends décidément ce qualificatif pour un compliment !
Jean-David Jumeau-Lafond (Paris)
jeudi 20 novembre 2008
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3 commentaires:
CQFD, et de quelle manière! et naturellement c'était compliment, et très haut! et quoi encore?
Chapeau!
A quand les "amis du toc"? cela fait répartie et pas précieux. Les "amis du toque" seraient un peu trop pès du couvre chef pour avoir ma faveur... Pourquoi pas "cap" et "capital"? la langue est d'abord populaire. Les grammairiens, pudiquement, nomment cela l'usage, et savent qu'il triomphe toujours.A quoi pensait Wittgenstein, lorsqu'il disait que le sens, c'est l'usage?
Au fait, jai essayé d'enregistrer une nouvelle et décisiive contribution, qui figure dans mes éléments envoyés, mais qui n'est pas sur le site. J'enrage, il s'agissait d'un journal à parution irrégulière, qui va très vite mobiliser les effortsde bien des amis du bog. Soyons patients, c'est l'amour des bogs, qui nous rassemble.
L'un de vous a-t-il connu semblable mésaventure? A t-il survécu, mieux, résolu l'irritant petit problème? Envoyez moi vios cionseils avant que mles ongles ne soient rongées susqu'au coude. merci d'avance pour mes épaules. Je décide de me rire de ces petitites vicissitudes.
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