
C’est normal, que ça ne (se) parle pas toujours. Ça (se) parle toujours, partout, mais pas toujours au même endroit. C’est normal. L’eau ne coule pas en permanence. On dirait que ça devient calme, transparent, immobile. Ça coule dessous, me dit-elle. On peut sauter dedans. Ça remonte depuis le fond, ça (se) dessine, on remue, ça se calme, on regarde, ça redevient calme très lentement, transparent, immobile. Je me souviens, ça coule dessous. Les corps sont liés. Infiniment partout liés, emmêlés, de l’électricité bien avant la toile, entre les crânes, les cœurs, les reins, des courants, des mouvements, des pensées, à travers les mains, les ventres, de la tête au pieds, s’ils sont deux. Un cerveau circule d’une planète à une étoile, d’un silence à un cadavre, d’une chambre à un territoire, etc. Le cerveau n’est pas seul, entraîne une partie de la colonne intérieure, des nerfs. On dirait un homme, à l’autre bout. Une caresse. Est-ce que les araignées sont vraiment velues? Le masque de Méduse, à l’envers. Je me pétrifie de n’être vue, me dit-elle. Quelle gueule. On finit par entendre des voix, à force, des Apparitions. Avec le sentiment confus que ça se passe ailleurs, à l’intérieur de cet autre sentiment, non moins confus, que ça ne se passe que là. Non pas que le masque soit spécialement vrai, me dit-elle. Le masque est spécialement faux, remarquablement dérangé. Mais spécialement et remarquablement faux et dérangé, spécialement et remarquablement sincère: faux et dérangé. Je veux dire que ça se voit tout de suite, que je ne suis ni Méduse ni Beckett. C’est là. Ça pourrait être ailleurs. En un sens ça n’est pas là, c’est ailleurs. Au même instant, ça n’est pas. Est-ce que les araignées nous dévisagent vraiment? À leur manière c’est tout à fait certain, me dit-elle. Elles ont un visage (on ne sait pas, il faudrait étudier). Une odeur, quelque chose qui est envoyé, une aura. Un corps plus large que celui de l’Apparition, en tout cas un autre corps, moins étroit. Sur la toile, il y a du monde. Un beau calme, une lumière qui ne se rend visible qu’à travers la toile, des larmes. On se demande qui va là. Qui ne va pas. Qui est ailleurs. Qui n’est pas. Qui n’a jamais été. Qui sera. La géographie est la même, dans tout l’univers. Je devine la vibration d’une Nymphe, et maintenant sa présence: créature dans un cocon, et pureté terrestre (à présent). J’affirme, je ne sais pour quelle raison, qu’elle ne sera pas dévorée. La Nymphe au cocon dormant, pour dire une bêtise. La vibration de sa présence est bien trop faible pour susciter la moindre convoitise, si la toile est verticale sa vibration est horizontale, ou l’inverse. Rien à signaler. Voilà.
(Thierry Laus, Lausanne.)
2 commentaires:
Ces Nymphes, tu veux les perpétuer, n'est-ce pas, mais leur incarnat est vraiment devenu si léger (depuis deux jours) qu'on ne les aperçoit même plus... Nous tentons de faire vibrer la toile, comme une harpe dont les échos doivent réveiller l'araignée, mais celle-ci reste cachée : savoir si, comme l'autre, elle est "souriante" et si ce sourire est amical ou narquois, c'est autre chose.. Le dit de la Méduse était fort innocent, rassembleur de curiosités esthétiques. Aurait-elle pris, à mon insu, la forme et la puissance initiales qui "marmorent" le regardeur ? Apotropaïque, je ne l'avais pas voulue, mais seulement clin d'oeil, et voilà qu'elle éloigne les esprits (mauvais ou pas).. !
Serons-nous bientôt en passe de dire le "Nun den Allein" d'Elektra ? Il n'y aura plus alors qu'à chercher la hache..
Après le crime (mais lequel, il faudra choisir la victime expiatoire) peut-être nos collègues en fictions scientifiques et policières connaîtront-ils un regain d'intérêt pour notre sort de rescapés du bogue..et pour dénouer les fils d'un intrigue devenue plus passionnante, plus sonore (moins aboli bibelot, quoi), plus terrestre et moins arachnéenne... (souriante ou pas)!
L’interrogation est si vaste!
Je n’arriverai pas à y répondre, que par tronçons, et surtout sincérité. D’abord j’ai été frappé, je sais que c’est curieux, mais je ne songeais pas à Mallarmé. Et pourtant oui, à tout. Encore que, de proche en proche et dans le détail, l’épanorthose n’est pas une figure, un trope, encore moins un tic: un salut.
L’ironie qu’il y a à feindre de vouloir «perpétuer», je crois. C’est la disparition qui se perpétue, dans le rêve. Mais, derechef et surtout, l’ironie qu’il y a à feindre de vouloir «abolir»: Mallarmé n’abolit strictement rien! Jamais le bibelot n’a été aussi insistant que dans son abolition, et les Nymphes!
Elles n’ont jamais existé.
Ce n’était pas tout à fait par passion de maugréer, que je tentais l’autre jour de me montrer sous le jour du rabat-joie. Pour ma part je n’ai jamais cru à une Apparition éclatante de vérité, d’amitié ou de communauté, à partir de l’Accident ou en ces jours si vites passés, à vif.
Si je crois, c’est ici et maintenant, à ce qui pourra être dit ou vécu.
Je ne crois aux Nymphes, finalement, que vives et à présent, de celles qui assurément abolissent ce qui n’a jamais été qu’un feu d’artifice ou d’Accident, mais aussi de celles qui à présent existent (elles sont toujours plus rares, plus locales, plus fuyantes qu’on ne croit, les vraies Nymphes), ici ou ailleurs,…
Cela existe bel et bien (comme un poème de Mallarmé, la flûte de Debussy, ou nos corps, disséminés),…
À ce prix, ma petite joie.
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