jeudi 27 novembre 2008

"Jérusalem"


1. Tout le monde sait que l'essentiel n'est pas de ces choses que l'on peut savoir.
2. Et puis que l'essentiel est un "faux singulier".
3. Ce sont les visages qui sont essentiels (les corps, les accents, les mots, les silences).
4. Ne subsiste, à force d'amour, que les Accidents.
5. Je sors de "Jérusalem", un colloque sur la "souveraineté juive" à Lausanne (ou "Israël").
6. Les mots peuvent devenir discours (armes, machines, guerre).
7. Ne viennent plus du "faux singulier" de la langue (ni de celle-ci, ni de celle-là).
8. Viennent de ces bouches (de cette bouche, de cette bouche, mais celle-là?).
9. Combien, en cette Image de Denise Fernandez Grundman?
10. On ne sait pas.
11. Chaque bouche qui parle ajoute à la vie et à la mort.
12. Toutes les bouches d'"Israël", tous les corps et tous les mots, à la vie et à la mort.
13. Et puis que la vie est aussi un "faux singulier" (comme l'essentiel, comme la langue).
14. Et puis que la vérité est aussi et encore un "faux singulier".
15. Ce sont les vies, les mots, les corps, les vérités, l'essentiel qui n'est pas Un.
16. Les douleurs, les visages, les maisons, les villes, les collines, à la vie et à la mort.
17. À se taire et à "parler", à la vie et à la mort.
18. (Je compte pour ne pas avoir l'air.)

(Thierry.)


6 commentaires:

Jean-David a dit…

Voilà une glose éminemment cryptée (pour moi en tout cas) et je suppute un colloque plutôt tragique dans son ambiance..? Mais qu'est ce que la "souveraineté d'Israël". Je ne comprends pas très bien ; était-ce un colloque théologique, historique, sociologique, littéraire ?

La notion de "faux singulier" m'échappe aussi un peu.
Eclaire nous, Thierry de tes lumières !

Anonyme a dit…

Ce soir la proposition 11 me touche gravement et profondément. Tous ces sourires qui s'effacent, tu sais, Thierry, épreuve après épreuve, je te l'avais écrit, je crois. Cela n'en finit pas de recommencer, tu connais des remèdes ? des consolations? Bon, si tu lis ces lignes, écris-moi, ce que tu veux, comme tu peux,et à double-sens. Comme d'hab.
Puisque ce n'était pas un chant du cygne, j'espère une réponse...
(ça c'est du code crypté / pour ne pas)

Thierry Laus a dit…

Tu as raison, mon cher Jean-David, ces quelques propositions doivent paraître quelque peu kabbalistiques, et comme toujours c'est la "tradition orale" qui fait tout!

Je fais 1,2,3, pour me donner le sentiment de ne rien oublier (ô illusion sans espoir!).

1. Le colloque lui-même n'était pas du tout tragique. La situation l'est (l'histoire et le présent). Grave et engagé, vivant d'une réalité qui dépasse les mots et les discours, oui.

2. L'occasion de corriger mon propos, sur un point auquel tient beaucoup l'ami qui a organisé ce colloque: j'ai dit "la" souveraineté juive, et il fallait dire "une". Bel exemple de ce que j'appelle un "faux singulier". Un "faux singulier" est un substantif qui entend inclure une réalité essentiellement hétérogène, éclatée, conflictuelle, etc. On me demande souvent ce qu'est "le" judaïsme ou "le" christianisme. Le Qu'est-ce que X, qui demande l'essence (ce qui fait qu'une chose est cette chose, pas une autre, spécifiquement). Ce qu'on appelle un "essentialisme" (il y aurait une Essence du judaïsme ou du christianisme, un Essentiel, soit métaphysique, pas trop à la mode, soit historique: une condensation, un irréductible, une spécificité unique). C'est faux (historiquement, politiquement, dans la réalité, quoi). Une unité est construite par un pouvoir (un discours, une image, une prétendue Essence), par sélection, élimination, etc. Une souveraineté juive, donc, et pas "la" souveraineté juive, parce que dans l'histoire des judaïsmes, la manière de penser et de pratique une "autonomie", une "souveraineté", être ou exister sans subordination (aux christianismes par exemple, au théologico-politique chrétien), c'est pluriel et conflictuel. Exemple: on pourrait dire, très paradoxalement (mais ce fut le propos d'une historienne que j'aime bien!): les Juifs du ghetto étaient souverains, ils vivaient et pratiquaient un judaïsme rabbinique (pas seulement ni d'abord "religion", moeurs, langue, nourriture, temps, etc.) en "souveraineté".

3. La question d'Israël change, naturellement, avec la fondation de l'Etat, son histoire, ses réalités, le rapport entre judaïsmes et Etat, etc. La question est difficile, comme tu sais! Est-ce que c'est une forme de "souveraineté juive"? Du point de vue politique, un Etat souverain, oui. Mais de quel judaïsme (c'est très conflictuel en Israël, depuis le début, les pères fondateurs du sionisme, encore dans le foyer juif de Palestine dans les années 20, 30, et jusqu'en 48, étaient laïcs!), bref, la question difficile! Et naturellement la tragédie arabe a été discutée (les Israëliens n'attendent pas ces gentils Européens pour voir, jusqu'au bout, la tragédie. Et certains, dits post-sionistes, sont plus radicaux que les plus radicaux d'entre nous). Bref, je n'arriverai pas ici à esquisser la discussion, mais juste pour dire!

4. C'était un colloque à la fois historique et politologique, croisant naturellement un point de vue "histoire ou sciences (au pluriel) des religions". Pas théologique, non. Et pas littéraire non plus (hélas). Mais avec le très beau film de Nurit Aviv en ouverture, Langue sacrée, langue parlée (2008), que je vous recommande chaleureusement!

Je sais que mes très modestes lumières apportent plus d'obscurité que de clarté!

Mais pour revenir sur mon "faux singulier" (auquel je tiens comme à la justesse descriptive et à la justice), la clarté et la lumière de nos mots et de nos discours sont pour moi comme des charniers: "le" christianisme, ah bon? L'Eglise ancienne majoritaire assassine la gnose, l'Eglise médiévale occidentale majoritaire assassine toutes les minorités qui s'opposent au dispositif théologico-politique et sacramentel, les protestantismes majoritaires assassinent les minorités anabaptistes, etc. Les christianismes modernes arrêtent d'assassiner quand les Etats le leur interdisent, pour dire les choses brièvement et froidement. En Afrique aujourd'hui, on continue: quand un pasteur prend position contre le pouvoir corrompu de son Etat et de son Eglise (souvent liés), il est exclu, et parfois assassiné.

"Le" christianisme africain est encore un exemple de "faux singulier": un pasteur assassiné, un autre qui roule en limousine (deux christianismes, on dirait bien!).

Voilà.

Thierry Laus a dit…

"Chaque bouche qui parle ajoute à la vie à la mort", donc.

Je ne connais pas les circonstances, la gravité et la profondeur. La vie est grave et profonde (pas toujours, je sais bien), mais parfois. La prendre entière, jusqu'à pleurer, ou mourir. Parfois se taire, à ne savoir quoi dire (à qui, et tout court, quoi dire?).

Quoi faire, à côté, en dessous (un geste, une politique, une main, un sourire quand les sourires cessent, ou les larmes, ou rien).

Ne rien faire, ne rien dire. La crainte évidemment d'ajouter à la mort (ou à la tristesse), comme la crainte que j'ai en pianotant bêtement ces mots, là. Et quand même dire, quoi dire, la bouche?

À la vie à la mort. Sentir que le souffle pris a le désir de porter un peu de vie?

Je ne connais pour ma part ni remèdes, ni consolations. Seulement la vie qui sait, peut parfois, se faire noire, terre, terre à terre, qui rampe, attend, se tait, tenir, cela qui nous tient au delà de ce que tenir veut dire, du temps, gagner du temps, du souffle, remèdes non, consolations non plus, soudain une main? une bouche, nouvelle ou ancienne?

Les cygnes sont des animaux (culturellement) trop "nobles" (pauvre réputation, ils sont si simples),... Je ne suis pas très "chant",... On ne sait pas, je ne sais pas,...

Au début de L'humanité de Bruno Dumont, l'inspecteur marche, puis se couche dans la terre (un champ). La joue sur la terre, sans chant. Une autre fois il crie (face à un train). Une autre fois il fait du vélo. Une autre fois il chantonne, s'accompagnant de son "clavier électronique". On peut dire que c'est affreux (ridicule, pathétique). On ne dit ça que de très haut, que de beaucoup trop haut. La scène où il chantonne est, comment dire? Bref, il chantonne.

Grave, profonde, triste, impossible, douloureuse (le pire recommence, c'est son genre), et tendre?

Tendre aussi?

Jean-David a dit…

Merci Thierry . C'est parfaitement clair et nullement obscur désormais.
J'ai tout compris (enfin je pense ;).
Oui, tout singulier et faux.. mais je me méfie aussi un peu de l'idéologie du "pluriel absolu".. !

Encore merci d'avoir pris le temps pour cette glose.
;)

Thierry Laus a dit…

Merci à toi de ta question (parfois j'ai tellement l'habitude de parler tout seul que finalement bon!).

Cela dit tu as parfaitement raison de te méfier aussi du "pluriel absolu"! Oh si tu savais! Nous pourrions re-partir pour une autre glose, Alain Badiou vs. Gilles Deleuze! J'en fais l'économie!

Nos corps sont certes des "pluriels", mais disons que nous ne souhaiterions pas trop être découpés! Il y a du singulier, de l'unité, du vrai, de l'indéconstructible (même ou surtout chez Derrida). Le "faux pluriel", plat comme une serpe qui tranche dans le vif, c'est aussi une plaie!

Cela dit, Tchouang Tseu a tout compris!

Salutations chinoises.